Troubles digestifs à l’effort, qui m’a jeté ce mauvais sort ?
Quel sportif n’a jamais été embêté par des troubles digestifs lors d’une course ? Reflux gastriques, ballonnements, douleurs, diarrhées, le panel est large. Comment faire pour que la course ne soit pas gâchée par ces maux ?
Les troubles digestifs sont très fréquents. Bien que leurs conséquences soient le plus souvent bénignes, ils demeurent une des principales causes d’abandon en compétition. L’intensité de l’effort et le kilométrage jouent un rôle prépondérant dans leur survenue [1]. Malgré la difficulté d’évaluer leur prévalence exacte, il semblerait qu’ils puissent toucher jusqu’à un quart des participants des épreuves d’endurance [2].
Introduction – étude sur l’UTMB (2010) [3]
Cette étude retrouve les prévalences suivantes : vomissements (7.51%) ; nausées (21.31%), diarrhées (8.23%), douleurs abdominales (20.10%). Soit une prévalence cumulée des troubles digestifs de 57.15%.
Les symptômes digestifs décrits par les sportifs
Les symptômes rapportés par les coureurs sont [4] :
– douleurs abdominales
– ballonnements
– aigreurs d’estomac
– reflux gastro-œsophagien
– diarrhées et vomissements
– micro-saignements voire même de façon plus rare hémorragies digestives.
Les atteintes coliques, de par leurs répercussions sur la compétition, sont considérées par les athlètes comme les plus graves [5]. Source au minimum de contre-performance pour le sportif (de 5 à 15 % des causes d’abandon en compétition), elles peuvent présenter certains critères de gravité et engager le pronostic vital [2].
Physiologie digestive à l’effort
Les mécanismes physiopathologiques à l’origine des troubles digestifs sont complexes. De plus, ils font intervenir de nombreux paramètres personnels et/ou environnementaux. Néanmoins, certains facteurs clairement identifiés entrent en jeu.
1. L’ischémie mésentrique
L’ischémie se caractérise par la diminution ou l’arrêt de la perfusion sanguine d’un organe, ici le système digestif vascularisé par l’artère mésentérique d’où le terme ischémie mésentérique.
Elle est considérée comme le facteur déterminant de ces manifestations. Comme l’avaient montré initialement les travaux de Clausen [6], l’effort physique entraîne une augmentation de l’activité sympathique (système activité lors d’un « stress », celui qui fait monter la fréquence cardiaque, la tension artérielle etc) et une diminution de l’activité parasympathique (système actif au « repos » qui permet notamment le fonctionnement de l’appareil digestif).
De manière schématique, quand on court, notre corps active état sympathique de « stress » pour nous permettre de pratiquer l’activité sans se précipiter aux toilettes.
L’activation du système sympathique va entraîner une redistribution de la vascularisation. Les territoires musculaires vont être privilégiés aux dépens, en particulier, des organes digestifs. Ce phénomène est plus communément connu sous le nom de « vol vasculaire » (les muscles volent la vascularisation des intestins, filous !).
Ainsi, le débit sanguin du système digestif peut passer de 25 % du débit cardiaque à l’état physiologique et au repos à 3 % à l’effort. L’intensité de l’exercice effectué déterminera l’importance de la réduction du flux sanguin [2].
2. La motricité digestive
L’altération de la motricité digestive est probablement la conséquence de l’ischémie mésentérique [7].
3. La théorie mécanique
Ces causes mécaniques regroupent le rebond des organes, les vibrations et les chocs au niveau de la paroi abdominale (liées à l’impact du pied sur le sol), notamment lors des portions descendantes [8].
En plus de ces mécanismes, certains paramètres individuels et propres aux conditions de déroulement de l’activité sportive peuvent contribuer à aggraver les symptômes [2].
- Le sexe : les femmes [9] présenteraient un terrain plus favorable au développement des troubles digestifs indépendamment de l’effort fourni.
- L’âge : le sujet jeune [9] de par son expérience (capacités parfois surestimées) et un débit mésentérique davantage diminué à l’effort semble plus exposé.
- Le niveau d’entraînement : le principe de dépassement des limites, quel que soit le niveau initial du coureur, explique la possibilité de rencontrer ces troubles tant chez les amateurs que chez les
- L’existence d’une pathologie digestive sous-jacente.
- L’existence d’une prise médicamenteuse associée gastro-toxique ou thrombogène : aspirine, anti-inflammatoires non stéroïdiens ou œstroprogestatif (la pilule).
- Le lieu de la compétition avec le rôle néfaste de l’altitude au-delà de 1 000 mètres (par raréfaction de l’oxygène), d’un climat chaud, de l’intensité de l’effort.
- La survenue d’une hypoglycémie
- La survenue d’une hyperthermie.
- La déshydratation. Dès 5 %, elle réduit la performance d’un exercice anaérobie.
- Le stress : il représente pour Sullivan [30] la principale origine de la diarrhée des coureurs de fond.
Atteintes oeso-gastriques [2]
Les symptômes
Le pyrosis communément appelé reflux acide est le symptôme le plus fréquent. Eructations (« rots »), régurgitations et douleurs dans la poitrine peuvent aussi être rencontrées. Ces différents symptômes sont plus l’apanage du sexe masculin.
Ces reflux varient en fonction de l’intensité et du type de séance effectuée et s’observent surtout pour des efforts se situant à 90 % de la consommation maximale en oxygène (VO2 max) ou au-delà de 70 % de la fréquence cardiaque maximale. La durée de l’exercice n’influence pas son apparition.
L’alimentation prise avant l’effort ne peut que majorer sa survenue.
Physiopathologie des atteintes oeso-gastriques
À l’effort, la déglutition de la salive est moindre. Son rôle de tampon sur l’acidité gastrique est donc réduit. Il en résulte une modification de l’activité contractile de l’œsophage. Ces anomalies sont néanmoins rapidement réversibles à l’arrêt de l’exercice.
Prévention des atteintes oeso-gastriques
Seul le respect d’une alimentation appropriée, permettant d’obtenir une vacuité gastrique (estomac vide) dès le début de l’exercice, semble être efficace. La prescription de médicaments anti-reflux ne semblent pas efficace.
Atteintes gastriques [2]
Les symptômes des atteintes gastriques
Les douleurs à type de crampe, les nausées et les vomissements sont les manifestations les plus rapportées. Elles peuvent être à l’origine de véritables contre-performances, telles que l’abandon. Elles résultent d’une altération de la vidange de l’estomac occasionnant une distension gastrique.
Physiopathologie des atteintes gastriques
Les études menées concernent surtout les prises de liquides.
La vidange gastrique est dépendante de l’effort fourni : elle est non modifiée ou accélérée pour des efforts se situant entre 50 et 70 % de la VO2 max, ralentie au-delà.
Par ailleurs, les qualités physico-chimiques de la boisson jouent un rôle majeur. A partir d’une concentration en glucose excédant 2,5 g/100 mL, il existe un risque de ralentissement de la vidange gastrique.
Quant à la température de la boisson, sa fraîcheur stimule la motricité gastrique durant les dix minutes qui suivent la prise et ce jusqu’à des valeurs de 5°C. Les boissons plus froides agissent sur les récepteurs thermiques profonds et peuvent occasionner des spasmes du pylore (partie de l’estomac).
Les études s’intéressant à la vidange gastrique des repas solides à l’effort sont peu nombreuses avec des résultats contradictoires.
Les facteurs extérieurs entrent aussi en jeu avec en premier lieu la chaleur. Plus le sportif sera soumis à un environnement chaud, plus lente sera la vidange gastrique. Le phénomène ne pourra que s’amplifier et s’aggraver si apparaît secondairement une déshydratation. Selon une étude [11], 80 % de coureurs ayant perdu plus de 4 % de leur poids avaient des troubles gastro-intestinaux.
Prévention des atteintes gastriques
En terme de prévention, l’entraînement peut s’avérer bénéfique. La vidange gastrique pour des efforts modérés serait la même qu’au repos chez des athlètes entraînés (Entraînez vos intestins à l’effort).
La prévention de la déshydratation est primordiale. Les hydrates de carbone (sucres) doivent constituer l’essentiel de l’apport énergétique. Cependant, il faudra éviter la classique erreur de l’utilisation de solutions hypertoniques (trop concentrées). Méfiez vous des boissons non testées avant une course. Il est conseillé d’absorber des petites quantités de boisson (environ 100 mL toutes les 20 minutes). La boisson idéale sera comprise entre 11 et 15°C, contiendra de sels minéraux (perte de sel par la transpiration) et de calories glucidiques (sucres) avec une concentration n’excédant pas 10 %. L’apport de sel permet de préserver la fonction rénale (les fameux TUC des ravitaillements). L’apport de sucre permet aux intestins d’absorber le contenu des boissons (minéraux, eau etc)
Atteintes coliques
Les symptômes des atteintes coliques
Les troubles digestifs bas sont plus fréquemment rencontrés que les troubles digestifs hauts. Ils surviennent plus volontiers chez les femmes et les jeunes coureurs. Par ordre d’importance, on retrouve les douleurs abdominales, les envies impérieuses de défécation et la diarrhée du coureur à pied plus communément baptisée « runner’s trot » par les Anglo-Saxons.
Physiopathologie des atteintes coliques
Comme nous l’avons vu, l’ischémie mésentérique reste le facteur primordial.
Cependant, si l’on s’intéresse au temps de transit segment par segment, il semble y avoir un ralentissement dans le côlon droit et une légère accélération dans le côlon gauche. Ces modifications constatées lors d’efforts intenses seraient induites par des contractions plus fréquentes et plus propagées du côlon gauche. Le ralentissement constaté au niveau du côlon droit ferait alors intervenir un double facteur mécanique : une compression par hypertrophie du muscle psoas droit lors de la flexion de la hanche et la survenue de traumatismes répétés entre le colon et la paroi antérieure mise en tension à chaque contact entre le pied et le sol. Ce phénomène décrit en 1982 par Porter [12] est plus connu sous le nom de « caecal slap syndrom ».
L’augmentation de la perméabilité intestinale a aussi été incriminée. Au repos, la muqueuse intestinale constitue une barrière efficace contre les bactéries et les antigènes alimentaires. La défaillance de celle-ci a été retrouvée lors d’efforts répétés survenant au-delà de 80 % de la VO2 max. Il fut alors évoqué pour la première fois en 1988 l’hypothèse de la participation d’une endotoxine [13]. La quantité d’anticorps libérés par l’organisme pour se défendre des endotoxines est d’autant plus importante que l’athlète s’entraîne de manière plus intensive. Il existerait alors une sorte « d’auto-immunisation » lors des longues sorties d’entraînement. (Encore une fois entraînez vos intestins à l’effort !).
Prévention des atteintes coliques
En période pré-compétitive, il s’agit essentiellement d’un entraînement adapté à l’effort attendu (durée, intensité, conditions météorologiques …) et d’une bonne préparation psychologique.
Pendant la course, une adaptation diététique régulière et bien équilibrée constitue la garantie de bons résultats et ce d’autant plus qu’elle aura été testée à l’entraînement.
Manifestations ischémiques et hémorragiques
Les symptômes des manifestations ischémiques et hémorragiques
Même si elles restent rares, les hémorragies digestives doivent toujours être évoquées.
Elles se manifestent pendant ou immédiatement après l’épreuve par une hématémèse (vomissement sanguin) et/ou un méléna (sang dans les selles provenant d’un saignement haut), une diarrhée sanglante ou des rectorragies (présence de sang dans les selles de consistance normale).
Si elles sont rapidement réversibles, elles peuvent par contre très vite se compliquer avec parfois engagement du pronostic vital. Thompson et al. [14] ont rapporté le cas d’un décès imputable à une hémorragie gastrique confirmée à l’autopsie chez un coureur à pied de 28 ans.
Physiopathologie des manifestations ischémiques et hémorragiques
L’ischémie induite par l’effort occasionne une disparition du réseau capillaire et une diminution de la sécrétion du mucus protecteur. Elle laisse place à la formation de lésions muqueuses érosives, ulcérées et nécrotiques.
Prévention des manifestations ischémiques et hémorragiques
L’hospitalisation paraît nécessaire tant pour corriger les désordres métaboliques que pour assurer une surveillance étroite dès les 48 premières heures.
Remarque importante :
Ces troubles digestifs sont majorés en cas d’automédication par anti-inflammatoires non stéroïdiens (voir article spécifique)
Anémie [2]
Une hyposidérémie (« manque de fer ») avec anémie est souvent rapportée chez des sportifs s’entraînant de manière intensive. Différents mécanismes ont été proposés :
– une insuffisance de l’érythropoïèse (synthèse des globules rouges) et une hémolyse (présence de globules rouges détruits dans le sang) suite à la destruction des globules rouges par choc plantaire répété au contact du sol
– une hématurie (présence de sang dans les urines)
– une diminution des apports et/ou de l’absorption du fer surtout en cas de régime lacto-ovo-végétarien
– une majoration des pertes de fer par fuite dans la sueur ou les urines
– des pertes sanguines digestives (qui passent inaperçues : pas de sang dans les selles, pas d’anomalies aux examens endoscopiques par caméra)
Stratégie de prévention de la survenue des problèmes gastro-intestinaux [1, 8, 15]
- Éliminer toutes denrées alimentaires suspectes et les réintroduire une à une progressivement
- Différer à plus tard une session d’entraînement après un repas
- Limiter l’apport des ingrédients formateurs de gaz (brocolis, oignons, haricots)
- Limiter l’apport des aliments riches en fibres
- Eviter la pasta-party la veille d’une compétition et la préférer l’avant-veille.
- Respecter un intervalle de 2 à 3 h entre le dernier repas et l’effort
- Eviter le café ou les boissons contenant de la caféine avant une course
- Expérimenter tout nouveau supplément ou nouvelle boisson lors d’un entraînement et ne jamais les utiliser pour la première fois lors d’une compétition
- Bien choisir sa boisson de l’effort : isotonique, associant plusieurs sources de glucides (maltodextrine et fructose ou glucose et fructose ou maltodextrine, glucose et fructose), en évitant les trop grandes concentrations en fructose
- Éviter toute boisson riche en hydrates de carbone ou en bicarbonate de sodium ainsi que d’importantes doses de vitamines C avant une compétition
- Essayer de favoriser le plus possible le liquide au solide pour un apport donné en quantité et qualité : question d’assimilation améliorée
- Organiser à l’avance vos ravitaillements
- S’habituer à s’alimenter durant l’effort
- Bien s’hydrater avant le départ
- Aller aux toilettes avant le départ
- Eviter les anti-inflammatoires et l’aspirine responsables de saignements, d’un accroissement de la perméabilité intestinale.
Les symptômes digestifs à l’effort, véritable source d’inconfort ! Comprendre ce qu’il se passe permet d’éviter la casse ! Encore une fois entraînez votre système digestif : à l’effort, à l’alimentation avant et pendant la course. Ne laissez pas (ou plus) un problème « de digestion » vous conduire tout droit à l’abandon !
Bibliographie
[1]https://www.revmed.ch/RMS/2011/RMS-304/Troubles-gastro-intestinaux-et-activites-sportives
[2] Jérôme Watelet, Marc-André Bigard, Troubles hépato-digestifs du sportif, Gastroentérologie Clinique et Biologique, Volume 29, Issue 5, 2005, Pages 522-532, ISSN 0399-8320, https://doi.org/10.1016/S0399-8320(05)82123-2.
https://www.em-consulte.com/en/article/100256
[3]https://utmbmontblanc.com/documents/etudes_medicales/Etude_desordres_digestifs_2010_romain_blondel.pdf
[4] https://www.irbms.com/troubles-digestifs-effort/
[5] Sullivan SN, Wong C, Heidenheim P. Does running cause gastrointestinal symptoms ? A survey of 93 randomly selected runners compared with controls. N Z Med J 1994 ; 107 : 328-31.
[6] Clausen JP. Effect of physical training on cardiovascular adjustments to exercise in man. Physiol Rev 1977 ; 57 : 779-815.
[7] Rochcongar P., Monod H., Médecine du sport pour le praticien, 4ème édition, Masson
[8] https://www.nicolas-aubineau.com/troubles-digestifs-sport/
[9] Riddoch C, Trinick T. Gastrointestinal disturbances in marathon runners. Br J Sports Med 1988 ; 22 : 71-4.
[10] Sullivan SN, Wong C. Runners’diarrhea. Different patterns and associated factors. J Clin Gastroenterol 1992 ; 14 : 101-4.
[11] Rehrer NJ, Janssen GM, Brouns F, Saris WH. Fluid intake and gastrointestinal problems in runners competing in a 25-km race and a marathon. Int J Sports Med 1989 ; 10 Suppl 1 : S22-S25.
[12] Porter AM. Marathon running and the caecal slap syndrome. Br J Sports Med 1982 ; 16 : 178.
[13] Brock-Utne JG, Gaffin SL, Wells MT, Gathiram P, Sohar E, James MF, et al. Endotoxaemia in exhausted runners after a long-distance race. S Afr Med J 1988 ; 73 : 533-6.
[14] Thompson PD, Funk EJ, Carleton RA, Sturner WQ. Incidence of death during jogging in Rhode Island from 1975 through 1980. JAMA 1982 ; 247 : 2535-8.
[15] https://www.thierrysouccar.com/blog/les-troubles-digestifs-du-sportif
Un article rédigé par :
Pauline Six – Médecin du sport

Pauline est Médecin du sport. Elle est spécialisée dans la rééducation des athlètes (du diagnostic initial à la réathlétisation).