Addiction et running, l’art de savoir s’exercer sans jamais s’oublier
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Addiction et running, l’art de savoir s’exercer sans jamais s’oublier

Dans une société qui valorise le succès, la recherche d’une apparence parfaite et d’un corps sportif, s’engager dans une pratique physique régulière telle que le running peut s’avérer compliqué. Alors que la volonté d’abandonner peut voir le jour, celle de toujours être performant tout en prenant plaisir peut aussi émerger. Entre plaisir, passion, et addiction, comment s’y retrouver et ne pas perdre pied ?

L’addiction au sport

Définition de l’addiction ou bigorexie

Une « dépendance à l’exercice » (ou bigorexie en français) est observée lorsque les sportifs exercent régulièrement leur activité physique tout en souffrant de symptômes de sevrage graves lorsqu’ils ne peuvent s’exercer (Landolfi, 2013). La pratique se fait de manière impulsive, résultant souvent en un surentraînement au cours duquel la fatigue ou les blessures ne sont pas prises en compte ; augmentant ainsi la probabilité de se blesser, et ce de manière irréversible (Lukács, Sasvári, Varga, & Mayer, 2019).

Si nous parlons aujourd’hui d’addiction au sport, son référencement dans le DSM V (i.e., livre regroupant l’ensemble des troubles psychiatriques) n’a pas encore été effectué. Les raisons sont un manque de définition claire des troubles, ainsi que des difficultés pour les chercheurs à démontrer la véracité des difficultés encourues lorsque l’on en souffre (Lukacs et al., 2019).

Les caractéristiques de l’addiction au sport

Les dernières découvertes réalisées en psychologie du sport permettent de définir certaines caractéristiques de l’addiction au sport :

  • Une personne souffrant d’addiction au sport se replie sur elle-même (Szabo, 1995),
  • est plus sujette aux blessures physiques que les autres (Corazza et al., 2019),
  • prend plus de compléments alimentaires (i.e., afin de booster ses compétences physiques ; Corazza, et al., 2019)
  • et possède un fonctionnement cérébral très sensible à la récompense (Huang et al., 2019). C’est ainsi qu’une personne souffrant d’addiction au sport à plus de difficultés à s’arrêter quand elle le doit (Huang et al., 2019).
  • Elle peut également souffrir des désordres du comportement alimentaire telle que l’anorexie mentale (Levit, Weinstein, Weinstein, Tzur-Bitan, & Weinstein, 2018).
  • De manière additionnelle, la présence d’une dépression peut également être notée (Levit et al., 2018).
  • Enfin, la dépendance à l’exercice est souvent liée au trouble obsessionnel-compulsif (i.e., TOC), car les personnes souffrant d’addiction au sport peuvent avoir des obsessions ou des compulsions vis-à-vis de leur pratique (Weinstein & Weinstein, 2014).

Les effets néfastes de l’addiction au sport

En conséquence, bien que l’addiction puisse apporter des « bienfaits » comme nous le verrons par la suite, son existence est souvent synonyme de problèmes physiques, médicaux, financiers et sociaux (Berczik et al., 2012; Nogueira, Molinero, Salguero, & Márquez, 2018); entraînant exclusion sociale et repli sur soi. On observe également une relation entre la présence d’une addiction et une relation passionnelle à la pratique physique (Bureau, Blom, Bolin, & Nagelkirk, 2019) ainsi qu’une plus faible estime de soi (Bruno et al., 2014) et une grande place accordée à l’apparence physique (Li, 2018).

Les « bienfaits » de l’addiction

Chez les coureurs, l’addiction au sport est fréquente. Environ 1 coureur sur 4 souffre ou souffrira d’addiction au sport au cours de sa pratique (Weinstein, & Weinstein, 2014). Les raisons sont d’ordre matériel et individuel. Le running étant une pratique physique « facile » à mettre en place, elle requiert peu d’encadrement et nécessite « juste » de s’équiper (Weinstein, & Weinstein, 2014). Elle permet donc une grande liberté de pratique (e.g., moment de la journée, pratique solo ou en groupe, course en forêt ou en ville) et pratiquer beaucoup, voire beaucoup trop, peut survenir chez plus de personnes que dans d’autres sports.

Un sentiment de « bien-être »

L’addiction serait alors « utile » pour certains lorsqu’ils souhaitent expérimenter toujours plus de plaisir et toujours moins d’inconfort ou de stress quotidien. Biologiquement cela s’explique au travers des concepts d’accoutumance, d’endorphine et de cytokine  (Weinstein, & Weinstein, 2014). Une pratique de plus en plus régulière permet de ressentir de plus en plus d’émotions positives et de moins en moins d’émotions négatives. Toutefois, plus un coureur est habitué à courir, moins il ressentira de plaisir à certaines intensités de pratique (i.e., les plus faibles pourtant considérées comme difficile durant les précédents entraînement). C’est pourquoi, au cours de sa pratique, le coureur augmentera sa difficulté de course. Ceci afin d’optimiser la possibilité de ressentir du plaisir et de diminuer l’expérience de ressentis négatifs. On parle alors d’accoutumance lorsque la personne ne ressent plus d’émotions à des niveaux de difficulté pour lesquelles le plaisir ou le déplaisir était pourtant courant.

Le rôle de l’endorphine

Dans ce contexte, l’endorphine joue un rôle fondamental. Lors d’un effort physique la libération d’endorphine a pour objectif de calmer la douleur physique lorsqu’elle se présente. S’exercer régulièrement ou toujours plus c’est donc augmenter la probabilité d’en libérer et donc de se sentir mieux pendant et après l’entraînement. De manière additionnelle, la cytokine qui, induite par l’exercice, permet une réponse anti-inflammatoire lors d’un effort permet, elle aussi, de diminuer la douleur. C’est pourquoi, elle est aujourd’hui considérée, comme l’endorphine, comme une possible caractéristique sous-jacente de la dépendance à l’exercice. Il est donc compréhensible que plus une personne a besoin de ressentir moins de douleur et plus de bien-être, plus elle s’engagera dans une pratique physique régulière voire addictive (pour une revue complète voir Weinstein, & Weinstein, 2014).

L’anxiété de la performance

Les personnes ayant un grand besoin de se sentir compétent (Li, 2018) sont les plus vulnérables à l’émergence de l’addiction. Ce type de personne s’exercera alors de plus en plus à l’idée de ne jamais y arriver. On parle alors dans ce cas de motivation anxieuse. Un comportement qui augmentera la probabilité de voir sa pratique saine se transformer en pratique addictive (Schüler, Knechtle, & Wegner, 2018) avec pour conséquence une augmentation de sa fatigue et de la probabilité de se blesser. L’exclusion sociale joue également son rôle. Plus une personne se sent exclue, plus elle désirera vivre des moments positifs, au travers notamment, d’une pratique physique intense et épuisante. C’est pourquoi le repli social est si déterminant dans l’émergence ou non d’une addiction au sport. Pour finir, une personne ayant besoin d’un exutoire pour évacuer son stress quotidien se verra plus sensible à l’émergence d’une addiction sportive qu’une personne vivant moins ou mieux son état de stress quotidien (Weinstein, & Weinstein, 2014). Elle choisira la pratique physique, comme d’autres choisissent autre chose, pour se réguler émotionnellement et physiquement. Ceci dans un objectif de mieux-être au quotidien mais également à court, moyen et long terme.

Comment traiter ou sortir d’une addiction au sport ?

Comme toute addiction, la consultation d’un professionnel de santé (i.e., psychologue ou psychiatre) est nécessaire à la mise en place d’une psychothérapie. Il est en effet nécessaire de comprendre pourquoi, en dehors des bienfaits physiologiques qu’elle apporte, la pratique physique est devenue si envahissante et si contraignante. La relation à la pratique physique et à soi-même seront alors les sujets importants de toute aide apportée.

En fonction de l’avancée de l’addiction par contre, le support pharmacologique peut être nécessaire pour pallier toute diminution des habitudes de pratique. C’est pourquoi la consultation d’un psychiatre en plus d’un psychologue peut s’avérer judicieux voire nécessaire. La raison est simple, si la pratique physique change (e.g., diminution de l’intensité ou de la fréquence des entraînement) alors des symptômes de sevrage peuvent apparaître. Dans ce contexte, un support médical est nécessaire pour accompagner la personne vers une reprise de son autonomie sans souffrance excessive (pour une revue, voir Weinstein, & Weinstein, 2014).

Bibliographie

Berczik, K., Szabó, A., Griffiths, M. D., Kurimay, T., Kun, B., Urbán, R., & Demetrovics, Z. (2012). Exercise addiction : Symptoms, diagnosis, epidemiology, and etiology. Substance Use & Misuse, 47(4), 403‑417.

Bruno, A., Quattrone, D., Scimeca, G., Cicciarelli, C., Romeo, V. M., Pandolfo, G., … Muscatello, M. R. A. (2014). Unraveling exercise addiction : The role of narcissism and self-esteem. Journal of Addiction, 2014, 987841. https://doi.org/10.1155/2014/987841

Bureau, A. T., Blom, L. C., Bolin, J., & Nagelkirk, P. (2019). Passion for Exercise : Passion’s Relationship to General Fitness Indicators and Exercise Addiction. International Journal of Exercise Science, 12(5), 122‑135.

Corazza, O., Simonato, P., Demetrovics, Z., Mooney, R., van de Ven, K., Roman-Urrestarazu, A., … Martinotti, G. (2019). The emergence of Exercise Addiction, Body Dysmorphic Disorder, and other image-related psychopathological correlates in fitness settings : A cross sectional study. PloS One, 14(4), e0213060.

Huang, Q., Huang, J., Chen, Y., Lin, D., Xu, S., Wei, J., … Xu, X. (2019). Overactivation of the Reward System and Deficient Inhibition in Exercise Addiction. Medicine and Science in Sports and Exercise, 51(9), 1918‑1927.

Landolfi, E. (2013). Exercise addiction. Sports Medicine (Auckland, N.Z.), 43(2), 111‑119. https://doi.org/10.1007/s40279-012-0013-x

Levit, M., Weinstein, A., Weinstein, Y., Tzur-Bitan, D., & Weinstein, A. (2018). A study on the relationship between exercise addiction, abnormal eating attitudes, anxiety and depression among athletes in Israel. Journal of Behavioral Addictions, 7(3), 800‑805.

Li, M. (2018). The Influence of Psychological Needs and Exercise Motivation on Exercise Dependence among Chinese College Students. The Psychiatric Quarterly, 89(4), 983‑990.

Lukács, A., Sasvári, P., Varga, B., & Mayer, K. (2019). Exercise addiction and its related factors in amateur runners. Journal of Behavioral Addictions, 8(2), 343‑349.

Nogueira, A., Molinero, O., Salguero, A., & Márquez, S. (2018). Exercise Addiction in Practitioners of Endurance Sports : A Literature Review. Frontiers in Psychology, 9, 1484.

Schüler, J., Knechtle, B., & Wegner, M. (2018). Antecedents of Exercise Dependence in Ultra-Endurance Sports : Reduced Basic Need Satisfaction and Avoidance-Motivated Self-Control. Frontiers in Psychology, 9, 1275.

Szabo, A. (1995). The impact of exercise deprivation on well-being of habitual exercises. Australian Journal of Science and Medicine in Sport, 27(3), 68‑75.

Weinstein, A., & Weinstein, Y. (2014). Exercise addiction- diagnosis, bio-psychological mechanisms and treatment issues. Current Pharmaceutical Design, 20(25), 4062‑4069.

Un article rédigé par :
Mauraine Carlier – Docteur en psychologie du sport

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